Un pin se
dresse devant nous de toute sa hauteur et trône, magistral, au-dessus de plus
petits arbres. Sa taille, sa position centrale, tout est fait pour le
distinguer de la masse de verdure ondoyante. Les troncs des arbres qui
l'entourent se penchent sur les côtés et s'écartent, comme pour lui laisser un
espace de respiration. Si le motif du grand pin est lié dans notre imaginaire à
l'idée d'une nature immuable et intemporelle, le paysage est ici totalement
bouleversé par un vent qui agite le ciel et la végétation. Le tronc légèrement courbé
ainsi que les branches aux formes sinueuses et entremêlées paraissent subir le
mouvement et ployer sous la force d'un mistral. Aucune anecdote ou récit narratif
ne vient nous écarter de cette expression de la nature. Tant par ses coloris
bleu, vert et ocre que par le motif représenté, nous identifions ce paysage
comme étant de type méditerranéen. Cette huile sur toile, réalisée par Paul
Cézanne (1839-1906) entre 1892 et 1896 a, en effet, été peinte dans la campagne
d'Aix-en-Provence. L'artiste est natif de cette région à laquelle son nom est
bien souvent attaché pour en avoir dépeint à maintes reprises et avec précision
les paysages. Cézanne a partagé sa vie entre la Provence et la région
parisienne. Lieu où se constitue un milieu d'artistes et de collectionneurs,
Paris est alors une capitale très attirante pour un jeune peintre. Le groupe
des Batignolles, regroupé au café Guerbois, propose un art en marge de
l'académisme officiel. On connaît la méfiance de Cézanne à l'égard de ce
groupe, il participe néanmoins un temps à l'impressionnisme dans les années
1870 et collabore à plusieurs expositions collectives. Même s'il s'en détache
assez rapidement, la rencontre de ce mouvement est décisive pour son œuvre.
C'est notamment avec l'impressionniste Camille Pissarro qu'il se familiarise, à
Pontoise et Auvers-sur-Oise, avec la peinture sur le motif. Ce mode de création
qui consiste à sortir de l'atelier pour peindre en plein air, au contact direct
de la nature, aura sa faveur jusqu'à la fin de sa vie. C'est aussi au cours de cette
période que l'artiste porte son attention sur la retranscription des sensations
colorées sur la toile. En plus du profond attachement de Cézanne pour la
Provence, son retour au « vieux sol natal », comme il se plaît à
l'appeler, manifeste un désir de se mettre à distance des écoles et des
influences entre artistes. Le peintre, perçu comme un autodidacte solitaire,
fait rapidement figure de marginal. Il passe des journées entières à travailler
dans les environs d'Aix. On sait que la gestation des œuvres est très longue
pour cet artiste qui observe et peint des heures durant, immergé en pleine
nature. Il se promène dans un petit périmètre qu'il sillonne et explore dans tous
ses recoins, décryptant ce paysage dont il rend compte au travers de ses toiles.
Cézanne exécute ainsi un travail que l'on pourrait qualifier de topographique.
La mer d'Estaque, les coteaux, les roches, les villages aux petites maisons
basses et, surtout, la montagne Sainte-Victoire viennent peupler sa peinture.
Les pins sont eux aussi un motif récurrent qui encadre ou rythme souvent une
nature plus vaste, laissant entrevoir la mer, la montagne ou encore des
habitations. Si l'artiste isole les pins afin de mieux les observer lorsqu'il
exécute des études à l'aquarelle ou au dessin, ils ne deviennent que rarement le
sujet principal de ses peintures...