C’est un mardi de l’année
1995, nous sommes au musée du Louvre, je suis avec Paul Rebeyrolle pour le
filmer. Géricault, Rubens, Delacroix …, Rebeyrolle est heureux ; je sens
chez lui de la jouissance, ses difficultés à marcher l’avaient privé du Louvre
depuis de longues années. Nous grimpons jusqu’à la salle trente et un visiter
Rembrandt et sa Bethsabée au bain. Sur le seuil de la salle, Rebeyrolle est en
arrêt. Il oublie ma présence, n’accorde aucun regard pour les autres
peintures : il a rendez-vous avec Bethsabée. Puis il marche, vite, malgré
le mal qui lui vole sa jambe ; il traverse la pièce et court littéralement
se coller le visage contre la jeune femme.
Je photographie Paul pour la
première fois en 1998, en Bourgogne, dans cette ancienne scierie transformée en
atelier. Accueil chaleureux de Paul et Papou Rebeyrolle, des fauteuils rouges
de dentistes échoués sur le sol de bois ;
des peintures immenses que je ne connaissais que par catalogues :
nous sommes dans l’atelier d’un grand peintre. Frappé par la force de ces
toiles (le Pactole), grisé par l’odeur du bois de l’atelier et par le silence
aux mille couleurs, touché par la révolte et par l’humanité de Rebeyrolle, je
sens déjà comme un goût de familiarité.
En 1991, nous sommes à
Bucarest. Au centre d’Art contemporain, Rebeyrolle expose avec d’autres
peintres. Son Narcisse écrase les toiles des autres. Le dîner organisé dans une
brasserie 19ème est largement arrosé de
Tokay de Hongrie. Je suis en face de Rebeyrolle. Là, le peintre
m’entretient de la pêche à la truite, du combat entre l’homme et l’animal, des
rivières et de la végétation, de la fabrication (et de l’esprit) des mouches,
de la fascination de la nature, du dialogue entre la peinture et la réalité, du
mouvement. Passionné par la nature, le corps, les matériaux, Rebeyrolle pêche
dans un pessimisme clairvoyant la quête de la vie au quotidien, une révolte
légendaire et le plaisir jouissif de la peinture.
Gérard Rondeau
« Rebeyrolle ou le journal d’un peintre » aux éditions des Equateurs