C’est en effet à Grez que nous
allons. On nous a chaleureusement recommandé cette localité pour son charme.
Tout le monde nous l’a affirmé : « Il y a de l’eau », et avec
une telle force que tout était dit. Je suis enclin à penser que pour un
Français, cette caractéristique est sans appel. Et Grez, dès qu’on y arrive, se
révèle effectivement tout à fait digne d’intérêt. Le village s’est établi en
dehors des bois, c’est un groupe de maisons avec un pont ancien, un vieux
château en ruines et une pittoresque église. Le jardin de l’auberge descend en
terrasses jusqu’à la rivière, avec un pré pour les chevaux, un potager, un
verger et une étendue de gazon bordée de joncs et agrémentée d’une tonnelle.
Sur l’autre rive, s’étend une plaine qui pourrait être anglaise, plantée à
profusion de saules et de peupliers. La rivière est claire, profonde, bordée de
roseaux et couverte de nénuphars. Des plantes aquatiques croissent autour des
piles du pont long et bas, grimpant à mi-hauteur en une luxuriante verdure.
Elles s'accrochent aux avirons en eau profonde avec leurs longues traînes et
quadrillent de leurs ombres légères le fond vaseux de l’eau. La rivière se perd
dans l’aventure d’îles minuscules ; elle disparaît parfois dans les
roseaux, comme un vieux mur envahi par un lierre agile et vivace ; On peut
aussi voir le vivier, sorte de bac où le patron de l’auberge garde les poissons
bien vivants pour sa cuisine, des clapotis huileux éclaboussant le couvercle de
sapin jaune. On entend aussi de gais bavardages et des bruits d’eau venant du
lavoir, juste sous la vieille église, où les femmes du village, à longueur de
journée, se relaient pour faire leur lessive au milieu des poissons et des
nénuphars. Gageons que le linge lavé en ces lieux doit être particulièrement
frais et doux.
Mais c’est pour la rivière que
nous sommes venus. Après nous être tous baignés, nous envahissons deux
embarcations et, tirant bravement sur les avirons, nous glissons sous les
arbres en cueillant force fleurs de nénuphars. Quelqu’un chante, d’autres
laissent traîner leurs mains dans l’eau fraîche, certains se penchent
par-dessus bord pour admirer le reflet des grands peupliers se perdre au fond
de l’eau, et l’ombre de la barque, avec ses avirons qui oscillent et nos têtes
tournées vers l’avant, glisse doucement au-dessus du fond jaune de la
rivière. Le jour finit par décliner et,
tous silencieux et heureux, des nénuphars humides jusqu’aux genoux, nous
abordons lentement le débarcadère , près du pont. Chacun cherche maintenant un
moment de solitude. Et ce n’est pas avant que le dîner soit servi et que le
meilleur vin de l’auberge commence à couleur dru que nous abandonnons notre
réserve pour retrouver une ambiance de joyeuse camaraderie.