Graver les états du monde et en tirer les preuves efface le
texte, bouleverse les images dans la précarité des signifiés.
Figer un certain état du monde transi dans ses pulsions
extrêmes avant qu’on ne l’oublie à nouveau, avant le crépuscule …
Le labeur, passé prolétarien, fruste mais puissant,
autrefois méprisé, revient à la mémoire, exprime ses conditions, ses
exigences : la fuite, le grand soir et l’avenir meilleur.
Quelques dizaines d’années seulement nous séparent de ce
patrimoine.
Le labeur d’autrefois n’est pas sans avoir forgé un désir
commun, émotif, transgressant la rigueur des relations sociales, souvent
brutales et abruptes. Les utopies et les révoltes que nous avons fréquemment
ignorées sont issues de cet autre monde. Elles restent fascinantes, du moins
faut-il l’espérer.
Les chutes du siècle ont nourri la fausse universalité de ce
début de millénaire, confondant l’histoire et l’évènement, la rébellion et le
désir.
Dans le miroir du monde, l’imaginaire en tête et le réel aux
pieds, le témoin devient acteur ; le spectateur trainant ses pulsions se
fait vétéran d’une humanité atomisée. D’un coup , l’image rassemble fait digue,
prévient de tout débordement de soi. Elle scande l’utopie, fixe un monde en
partance.
A mi-chemin
Les usagers de la scène quotidienne augmentent la nécessité
d’une forme d’ancrage, d’une caisse de résonnance, d’un amplificateur de la
dimension humaine.
Un champ d’action, où rien ne change, s’établit .. Mais ce
qui change nous change. Les lieux et les images même imaginaires ou utopiques
suggèrent le droit à interpréter les rythmes, les contacts, le vécu.
La briéveté de l’existence n’a de limite que dans la peur et
le voyage ne voit plus les repères. Mais les outils sont tellement affûtés que
l’image en garde les traces et les isole en vue d’une redécouverte.
Quittant le rêve pour se pencher sur le geste, la vérité
l’emporte sur la beauté. Tailler dans le vif, c’est mettre à nu le nerf des
systèmes sociaux dans la transmission d’un message loin des évidences et des
loisirs.
Préface écrite par Ghislain Olivier pour le livre « Route des hommes » roman
graphique de Frans Masereel.