Extrait :
Dans certains endroits, comme les cantons montagneux du Var et sur la rive droite de la Durance, la région des collines qui va jusqu’à la Lure et la Drôme, les vergers d’oliviers sont assis sur de petites terrasses soutenues par des murs de pierres sèches, blancs comme de l’os. Ce sont de petits oliviers gris, guère plus hauts qu’un homme, deux mètres cinquante au plus, plantés depuis mille ans à quatre ou cinq mètres l’un de l’autre. La terre qui les porte est très colorée, parfois d’un pourpre presque pur, communément d’une ocre légère, quelquefois sous l’ardent soleil blanche comme de neige. Sur ces terrasses, la vie est non seulement aisée mais belle. Il n’y a rien d’autre que les oliviers : je veux dire ni constructions, ni cabanes, mais, qu’on vienne à ces terrasses pour bêcher autour des arbres ou pour flâner, c’est un délice. Dans l’arrière saison, le
soleil s’y attarde ; le feuillage de l’olivier ne fait pas d’ombre, à peine comme une mousseline ; on a tout le bon de la journée. On voit toujours quelques hommes qui promènent ainsi dans les vergers. Ils fument une pipe ou une cigarette et font des pas. L’olivette représente ce que représente une bibliothèque où l’on va pour oublier la vie ou la mieux connaître. À la Sainte Catherine, c’est-à-dire le 25 novembre, on dit que l’huile est dans l’olive. On va faire la cueillette. Du côté de Grasse et de Nice, dans les terres qui avoisinent la mer, sur les contreforts des Alpes côtières, on étend des draps blancs sous les arbres et on gaule les fruits. Dès qu’on s’éloigne vers les solitudes, que le climat se fait plus âpre, on cueille l’olive une à une sur l’arbre même, à la main. C’est le travail le plus succulent qui soit. Généralement, il fait froid et, si on prévoit une grosse récolte, il faut s’y mettre de bonne heure. Il y a parfois des brouillards et l’arbre est à la limite du réel et de l’irréel. Le soleil est à peine blond et ne chauffe pas encore. L’olive est glacée, dure comme du plomb. Voilà le pays radieux qu’on domine. Après les brouillards vient cette luminosité d’hiver si claire où tout se dévoile. On voit pour la première fois que les vieilles touffes d’herbes ne sont pas blanches mais violettes. On distingue le velours des paysans les plus éloignés marchant sur les chemins et, de fort loin, malgré les châles et les pointes de tricot, on partage les femmes et les jeunes filles en blondes et en brunes. Ce sont ces tâches de couleur pure qui donnent au pays sa profondeur et font comprendre la limpidité extraordinaire de l’air. Quelquefois, on entend soudain braire un âne, hennir un cheval ou ronronner une camionnette. Jadis on entendait chanter...
Jean Giono - Éditions Gallimard