Extrait :
Comme l'indigo, le lapis-lazuli vient d'Orient. C'est une pierre très dure, aujourd'hui considérée comme « semi-précieuse », qui à l'état naturel présente un bleu profond, pailleté ou veiné d'un blanc légèrement doré. Les principaux gisements de lapis-lazuli se trouvaient en Sibérie, en Chine, au Tibet, en Iran et en Afghanistan, ces deux derniers pays étant les principales sources d'approvisionnement de l'Occident antique et médiéval. Son extraction demandait, en raison de sa dureté, un travail très long. En outre, les opérations de broyage et de purification qui permettent de transformer le minéral naturel en un pigment utilisable par les peintres sont lentes et complexes : le lapis contient un grand nombre d'impuretés qu'il faut éliminer pour ne garder que les particules bleues, minoritaires dans la pierre. Les Grecs et les Romains le font mal ; souvent même ils se contentent de broyer simplement la pierre dans son ensemble. C'est pourquoi lorsqu'ils peignent au lapis, leur bleu est moins pur et moins beau que celui que l'on rencontre en Asie ou, plus tard, dans le monde musulman et dans l'Occident chrétien. Les artistes médiévaux, en effet, trouveront des procédés à base de cire et de lessives diluées pour débarrasser le lapis-lazuli de ses impuretés. En tant que pigment, le lapis produit des tons bleus d'une grande variété et d'une belle intensité. Il est solide à la lumière mais son pouvoir couvrant est faible ; c'est pourquoi il s'emploie surtout pour les petites surfaces (l'enluminure médiévale y trouvera son plus beau bleu). Moins coûteuse est l'azurite, le pigment bleu le plus utilisé dans l'Antiquité classique et le monde médiéval. Il ne s'agit pas d'une pierre mais d'un minerai, fait d'un carbonate basique de cuivre. Sa stabilité est moins grande que celle du lapis et, surtout lorsqu'il est mal broyé, ses bleus sont moins beaux : broyé trop fin, il perd sa couleur et devient pâle ; broyé trop gros, il se mêle difficilement à un liant et donne une peinture granuleuse. Les Grecs et les Romains le font venir d'Arménie, de Chypre et du mont Sinaï. Au Moyen Âge, on l'extrait des monts d'Allemagne et de Bohème, d'où son nom : « bleu de montagne ». Les Anciens savent également fabriquer des pigments bleus artificiels, à base de limaille de cuivre mélangée à du sable et à de la potasse. Les Égyptiens, notamment, ont produit de splendides tons de bleu et de bleu-vert à partir de ces silicates de cuivre ; on les trouve sur le petit mobilier funéraire, souvent revêtus d'une glaçure qui leur procure un aspect vitreux et précieux. Pour les Égyptiens comme pour d'autres peuples du Proche et du Moyen-Orient, le bleu est une couleur bénéfique qui éloigne les forces du mal. Il est associé aux rituels funéraires et à la mort pour protéger le défunt dans l'au-delà. En Grèce, le bleu est moins valorisé et plus rare, même si dans l'architecture et la sculpture, fréquemment polychromes, le bleu sert parfois de couleur de fond sur laquelle s'inscrivent les figures. Plus encore que les Grecs, les Romains voient dans le bleu une couleur sombre, orientale ou barbare ; ils l'utilisent avec parcimonie. Dans un passage célèbre de son Histoire naturelle consacré à la peinture, Pline affirme que les meilleurs peintres ont l'habitude de réduire leur palette à quatre couleurs : le blanc, le jaune, le rouge et le noir. Seule la mosaïque fait exception : venue d'Orient, elle apporte avec elle une palette plus claire, plus verte, plus bleutée, que l'on retrouvera dans l'art byzantin et dans l'art paléochrétien. Le bleu y est non seulement la couleur de l'eau, mais aussi parfois celle du fond et de la lumière. Le Moyen Âge s'en souviendra...
Michel Pastoureau - Éditions du Seuil