Extrait :
1871 commença par la capitulation du gouvernement provisoire de la République. Sur les forts de Paris, les drapeaux allemands défiaient la capitale encerclée. Dans la nuit du 5 au 6 mars, des affiches rouges placardées sur les murs de la ville silencieuse proclamaient : « Place au peuple ! Place à la Commune ! » Vers les portes de Paris, des gardes nationaux s'en allaient en bataillons désordonnés, escortés de femmes et d'enfants, afin de couper la route à l'envahisseur. Car la Commune, ce fut d'abord cela : des ouvriers, des artisans, des bourgeois qui refusaient l'armistice signé par les Versaillais et qui s'improvisaient soldats pour barrer la route à l'ennemi. Face à ce sursaut patriotique, Adolphe Thiers, chef du gouvernement versaillais, envoya des troupes pour récupérer les deux cent cinquante canons laissés dans la capitale. Comme on le sait, à l'exemple du canon Courbet, certaines de ces armes avaient été acquises par souscriptions. Les soldats envoyés par Thiers se heurtèrent à l'opposition de la population, qui coupa les harnais des chevaux. Les femmes se couchèrent sur les canons et finalement les lignards fraternisèrent avec le peuple, fusillant deux de leurs généraux. La guerre entre Paris et Versailles commençait. La Commune s'inspirait des principes révolutionnaires de 1793. Cinquante-sept jacobins formaient sa majorité, avec l'appui des blanquistes et des extrémistes hébertistes. Vingt-deux socialistes, internationalistes et libertaires constituaient la minorité contestataire. Courbet et Vallès se trouvaient parmi eux... Toutefois, Courbet ne fut pas élu immédiatement membre de la Commune. Le blanquiste Édouard Vaillant le maintint d'abord dans sa fonction de président de la Commission des artistes. Le 6 avril, il publiait dans le Journal officiel de la Commune une lettre aux artistes de Paris : « La revanche est prise. Paris a sauvé la France du déshonneur et de l'abaissement. Ah ! Paris ! Paris a compris, dans son génie, qu'on ne pouvait combattre un ennemi attardé avec ses propres armes... Aujourd'hui Paris est libre et s'appartient, et la province est au servage. Quand la France fédérée pourra comprendre Paris, l'Europe sera sauvée. Aujourd'hui j'en appelle aux artistes, j'en appelle à leur intelligence, à leur sentiment, à leur reconnaissance. Paris les a nourris comme une mère et leur a donné leur génie. Les artistes, à cette heure, doivent par tous leurs efforts concourir à la reconstitution de son état moral et au rétablissement des arts qui sont sa fortune. Par conséquent, il est de toute urgence de rouvrir les musées et de songer sérieusement à une exposition prochaine. Ah ! Paris ! Paris la grande ville vient de secouer la poussière de toute féodalité. Les Prussiens les plus cruels, les exploiteurs du pauvre étaient à Versailles. La révolution est d'autant plus équitable qu'elle part du peuple. Ses apôtres sont ouvriers, son Christ a été Proudhon. » Cette fidélité à Proudhon honore Courbet, qui rêve d'appliquer à la Commune, grâce à la charge qui lui a été confiée, tous les principes fédéralistes. Non seulement il entend assurer l'indépendance absolue des artistes et de leur organisation en les gardant de toute étatisation, mais il préconise que tous les corps d'état de la société suivent le même exemple...
Michel Ragon - Éditions Fayard