L'intelligence des affiches (2)



Extrait :

On connaît les pierres levées de Stonehenge dont les dures silhouettes ne laissent pas d'impressionner. On connaît aussi les restes des murailles de Tyrinthe, prétendument bâties par les Cyclopes, derrière lesquelles, avant que la Grèce policée n'érige ses temples de marbre, se fomente toute une vie guerrière dont les Tragiques nous disent qu'elle fut une sorte de rougeoiement sans fin. Toutes choses égales, il y a de cette terrible lueur sur l'affiche de Catherine Zask, qui fut chargée d'annoncer qu'on donnait Macbeth, de Shakespeare, un soir de novembre 2001 à l'hippodrome de Douai. Sur l'affiche de la graphiste, les lettres du mot « Macbeth » se présentent comme le haut crénelé de quelque château. L'Écosse mythique du dramaturge anglais est d'abord une terre lugubre dont les forteresses, quels que soient les firmaments qui les dominent, disent la vie ensauvagée. L'affiche de Catherine Zask a la roideur du sujet qu'elle traite, ou plutôt du spectacle qu'elle annonce. La pièce du poète élisabéthain est d'une rare noirceur, que rien ne peut adoucir si ce n'est les moments de moindre tension qui, comme les répits lorsque règne le malheur, permettent à ce dernier de reprendre de plus belle. Le spectateur se heurte frontalement à ce mur, comme à celui de sa prison un prisonnier qui n'apercevrait le ciel qu'à travers un soupirail. En vérité, c'est d'un autre enfermement qu'il s'agit puisque les personnages de Shakespeare vivent dans l'espace contraint de l'aveuglement ou de la folie. Lady Macbeth, on le sait, est somnambule, qui erre, tourmentée par le sang qu'elle a fait verser ; Macbeth, après son crime, cherche et trouve le trépas. La chiche lumière qui descend des cintres est celle d'un petit jour incertain sur lequel se détache le nom du meurtrier de Duncan et Banquo. Funeste gloire de l'assassin tourmenté dont le nom porte les couleurs de la mort et qui, dressé sur le château de Dunsinane, se déploie sinistrement. On n'échappe pas à son destin. Les lettres M-A-C-B-E-T-H, parce qu'elles sont de tailles diverses, ont l'irrégularité des pierres trouvées sur place, que l'industrie des hommes n'a pas su égaliser. Normalisées, ces lettres pierres eussent signifié la commémoration, c'est-à-dire « l'édification » à tous les sens du terme ; mais, arrangées comme on voit, elles disent, d'abord, la rudesse des temps légendaires, dont nous sentons bien qu'ils nous sont terriblement familiers. Le sillon creux en forme de V qui sépare le M du A a quelque chose de l'entaille d'un coup de hache. Parce qu'ils sont des signes arbitraires, les lettres et les mots ont tendance à retrouver, comme par compensation, les vertus de l'idéographie. Songeons au tableau de Magritte, L’Art de la conversation, sur lequel le peintre montre un empilement, aussi massif qu'improbable, de blocs de granit. Ce chaos constructiviste, on le sait, cache en son sein le vocable « rêve » dont une des connotations - l'inconsistance - tranche d'étrange façon avec la matérialité de ses composants. Affiche, tableau : les mots (ou plutôt leurs images) sont dotés d'un poids d'imaginaire plus consistant que le peu de réalité auquel nous nous raccrochons...

Pierre Fresnault-Deruelle - Éditions Pyramyd