L'intelligence des affiches

Extrait :

La publicité (mais aussi la propagande qui est sa cousine) associe deux discours. Le premier est toujours destiné à réactiver nos inquiétudes et nos frustrations ; le second discours, symétrique, consiste à proposer des réponses à ces mêmes inquiétudes ou frustrations. « Achetez X, vous vivrez mieux ; procurez-vous Y, vos rides disparaîtront ; avec Z, vous aurez la voiture que jalousera votre voisin. » La publicité, en somme, est une sorte de prothèse ou de médicament. De ce point de vue, elle se situe aux antipodes de l'art, qui nous demande (parfois durement) de mesurer nos manques ou nos désirs à l'aune du réel, et cela, justement, pour nous permettre de nous situer dans le monde. Même si l'on adhère à l'idée que la pub véhicule plus souvent qu'à son tour des propos démagogiques, il convient, toutefois, de nuancer les choses. Il est des publicitaires qui sont l'honneur de la profession, et des affiches ou des spots, dénués de vulgarité, pétris d'humour ou vraiment sensibles, qui nous « édifient ». Si la publicité n'est pas un art (c'est une technique et un média), certaines de ses manifestations sont des chefs-d'œuvre où éthique et esthétique ne sont pas exclusifs l'un de l'autre. On veut dire que l'efficacité rhétorique (qui, en soi, n'est qu'une « arme », s'enrichit ici et là d'une véritable dimension poétique. Les grands affichistes classiques sont de ceux qui, parfois, firent de nos rues d'extraordinaires galeries. Tout en respectant leur contrat (faire vendre, sensibiliser à une cause), ils donnaient aux passants l'occasion de se régénérer le regard (de « se rincer l'œil », au premier sens du terme). Évoquons la vache Monsavon de Savignac qui, au sortir de la Seconde Guerre, amusa durablement grands et petits. Qu'a-t-il donc cet animal pour se maintenir dans la mémoire collective ? Ce gentil ruminant (son regard est touchant), dont les pis sont prolongés en « stalactites de lait », donne forme et substance au savon piédestal avec lequel il semble faire corps, grandir même. Seuls trois petits traits horizontaux, à la fois minuscules et remarquables, séparent les pis de la bête de la coulée blanche qui, peu à peu, se transforme en support. Circulation des fluides. Le court-circuit de Savignac nie (pas tout à fait, on l'a dit) la ligne de partage entre la partie (le lait) et le tout (la vache), ou encore la matière première et sa métamorphose ! Cette continuité nous amuse et nous charme parce que nous vivons à l'ère industrielle, où la division du travail et la multiplication des procédures de transformation nous éloignent sans cesse de l'origine des choses. Or, sur le mode humoristique, cette affiche, qui fait mine de réparer les dégâts, réinstaure du liant entre nous (qui passons sur notre peau du savon) et la Nature (symbolisée par l'animal), devenue si lointaine. Osons cette lecture : la vache est au savon ce qu'était au lait notre mère, lorsque cette dernière nous sustentait en nous comblant des blanches paroles de l'apaisement...

Pierre Fresnault-Deruelle - Éditions Pyramyd