
Extrait :
Hôsen était mort sans crier gare. Un matin d'automne où les pluies qui tombaient depuis plusieurs jours avaient cessé, les plus proches voisins qui habitaient à une centaine de mètres s'étaient inquiétés. Cela faisait deux ou trois jours qu'ils n'avaient pas vu le père Hara. Ils étaient allés chez lui et l'avaient trouvé étendu de tout son long, le visage contre le sol de la pièce en terre battue. Le corps était déjà froid et raide, cela faisait un certain nombre d'heures qu'il était mort. Hara Hôsen avait eu une embolie. Le plus frappant dans cette mort était que, juste avant de disparaître, Hôsen avait voulu prendre ses pinceaux. Dans la remise, une couverture pliée en deux était étendue sur le sol. S'y alignaient en bon ordre plusieurs palettes à côté desquelles, posés sur le couvercle d'une écritoire, cinq pinceaux formaient un rang bien droit. Avec le même soin, notre homme avait déployé au milieu de la couverture une feuille de papier blanc toute neuve. Elle était restée vierge. Hara venait sans doute de prendre un pinceau quand quelque chose l'avait rappelé dans la pièce au sol de terre battue. Et, là, il s'était effondré.
- « Est-ce que Hôsen s'était remis à peindre dans sa vieillesse ? » demandai-je à Onoé Senzô.
- « Ça m'étonnerait bien. Mais, la peinture, il avait ça dans le sang. Quelque chose l'aura averti que la mort approchait et il aura voulu peindre une dernière fois. De toute façon, avec trois doigts en moins, il n'aurait pas pu faire grand-chose », répondit-il.
L'homme dont on me racontait la fin n'était qu'un faussaire et, pourtant, ce récit ne me laissait pas indifférent. Onoé Senzô disait que la feuille de papier était étalée, prête à recevoir son premier coup de pinceau. Mais j'avais dans l'idée que Hôsen n'avait pas voulu peindre pour de bon. S'entourer de tout son attirail de peintre, n'était-ce pas plutôt à ce désir là qu'il avait obéi ?...
Yasushi Inoué - Éditions Stock