L'art et la révolte



Extrait :

Si cette conférence avait eu pour sujet l'Art pur, un artiste serait à la place que j'occupe, et le groupe d'hommes qui vous a conviés ce soir siégerait à vos côtés comme auditeur, non comme organisateur. Comme vous, en effet, les membres de l'Art social ont une considération médiocre pour les dilettanti qui, tout en professant le dédain du bourgeois, ne laissent pas de s'approprier ses passions, poursuivent comme lui la fortune, sans se soucier d'en connaître la source, flattent volontiers les vices sociaux pour en tirer profit, et sont, en définitive, les plus fermes soutiens de l'oligarchie capitaliste. Les quelques hommes au nom de qui je vous parle sont du peuple par la communauté des souffrances et des sentiments, par une égale soif de révolte contre les iniquités, par une même aspiration à un état social où chaque être, ayant la possession de soi, trouvât la satisfaction de ses propres besoins dans la satisfaction des besoins de ses semblables. Ils ne séparent point l'art du socialisme et, à l'encontre de ceux qui, affectant de considérer la foule comme inapte aux sensations intellectuelles, refusent d'écrire pour elle, ils veulent, au communisme du pain, ajouter le communisme des jouissances artistiques. C'est pour mieux affirmer, du reste, ces sentiments que le groupe d'Art social a fixé le lieu de sa première manifestation dans un quartier révolutionnaire, confié l'exposé de ses principes à un militant de l'armée corporative et choisi pour entretien de début : l'Art et la Révolte. C'est assez dire que l'Art doit faire des révoltés. À la perception encore confuse de l'égalité des droits, l'art doit apporter son aide et détruire, en en dévoilant le ridicule et l'odieux, le respect mélangé de crainte que professe la foule encore pour les morales inventées par la duplicité humaine. Car tout est là. Dévoiler les mensonges sociaux, dire comment et pourquoi ont été créées les religions, imaginé le culte patriotique, construite la famille sur le modèle du gouvernement, inspiré le besoin de maîtres : tel doit être le but de l'Art révolutionnaire. Et tant qu'il restera dans l'esprit des hommes l'ombre d'un préjugé, on pourra faire des insurrections, modifier plus ou moins les inutiles rouages politiques, renverser même les empires : l'heure de la Révolution sociale n'aura pas sonné ! En toute circonstance, l'Art se fait le serviteur, le complice de la société bourgeoise. Et combien plus dangereux que l’exploitation capitaliste elle-même ! En cette œuvre, quel rôle doit jouer l'art révolutionnaire ? Un rôle, à notre sens, prépondérant. De même que l'art bourgeois fait plus pour le maintien du régime capitaliste que toutes les autres forces sociales réunies : gouvernement, armée, police, magistrature, de même l'art social et révolutionnaire fera plus pour l'avènement du communisme libre que tous les actes de révolte inspirés à l'homme par l'excès de sa souffrance. Mais ce qui, mieux que les instinctives explosions de la fureur, peut conduire à la révolution sociale, c'est le façonnement des cerveaux au mépris des préjugés et des lois ; et ce façonnement, l'art seul l'opérera...

Fernand Pelloutier - Les Éditions Place d'Armes