Plagiats, les coulisses de l'écriture

Extrait :

Le mythe du chef-d'œuvre unique et original, créé à partir de rien par un auteur génial, n'est pas mort. Il est même entretenu comme une garantie de succès par un bon nombre d'éditeurs qui érigent sur un piédestal leurs écrivains les plus sûrs. Toute une thématique publicitaire tend à faire croire au lectorat saturé de médias qu'il pourra encore découvrir du nouveau et de l'inédit. Mais l'on vient trop tard... L'illusion du chef-d'œuvre encore inconnu survit, alors même que le livre est devenu un produit de consommation comme les autres, soumis aux exigences du marché. Concrètement, se multiplient des pratiques d'écriture très éloignées d'un travail de création personnel, à la fois patient et passionné. L'esthétique contemporaine va aussi à l'encontre de la conception romantique du génie créateur. Le ludique, le recyclage, le collage, le ready made et tout ce qui relève de l'intratextualité rappellent que le processus de création artistique et littéraire s'ancre dans un déjà-vu, un déjà-lu et un déjà-écrit. L'original n'existe que par rapport à un préexistant qui en relativise nécessairement la portée. On comprend alors que le droit de l'auteur, comme toute autre forme de droit, ne s'exerce que de manière relative, selon les limites imposées par le droit de l'autre. Cette nature relative de la propriété intellectuelle et artistique l'apparaît encore davantage au regard de son histoire. La pratique légitime de la copie à certaines époques, ainsi que le combat ardu des écrivains pour faire reconnaître leur œuvre comme leur propriété, incitent à s'interroger sur la notion de chef-d'œuvre... Les travaux universitaires, de bon ou de mauvais aloi, représentent en une mine de documentation sous forme d'exemplaires publiés en un petit nombre ou simplement alignés sur les rayons oubliés d'une bibliothèque universitaire. Or, nombre d'écrivains, d'un certain renom même, n'hésitent pas à y puiser grossièrement. « Les chercheurs de l'ombre » ne sont-ils pas d'honorables besogneux, trop heureux de voir leur travail ainsi exhibé et enfin mis au jour par de talentueux écrivains en manque de temps et d'inspiration ? Autre manne inespérée pour les écrivains imposteurs : les manuscrits refusés par les maisons d'édition. On peut suspecter qu'ils servent à fournir un matériau de base à de futurs best-sellers : une idée d'intrigue, un profil de personnage, une scène originale... Se pose donc la question cruciale, totalement taboue, du détournement des manuscrits en échec de publication... Le texte est un creuset où viennent se fondre, dans une mystérieuse alchimie, des éléments d'origines diversifiées. La filiation entre un auteur et son œuvre se révèle plus opaque que ne le laisserait penser le mirage du « grand écrivain ». Le Texte est constitué de tous les textes portant les signatures quelquefois trompeuses de ceux qui s'en revendiquent les auteurs. Comme chacun est prompt à se réclamer le propriétaire d'une partie de la grande bibliothèque universelle, la réglementation juridique a pour vocation de délimiter le territoire de chacun. Un sort particulier est réservé à chacun selon la nature de son intervention dans le domaine de la propriété littéraire. La notion d'auteur peut du même coup apparaître comme une pure fiction juridique destinée à mettre de l'ordre dans la vaste prolifération textuelle. Parviendrons-nous finalement à cerner de plus près la nature fluctuante de ce qu'il est convenu de nommer un « auteur » ?...

Hélène Maurel-Indart - Éditions de la Différence