Extrait :
Picasso dit souvent qu'à partir du moment où on sait vraiment faire une chose, on n'a plus besoin de la faire. Toute l'abstraction périt de sa propre monotonie en répétant toujours le même geste. Que ce geste soit tranquille ou furieux, il est toujours répété. Chacun de ces chercheurs de liberté a trouvé sa liberté dans la répétition... Moi, ce qui m'intéresse, c'est de faire ce que je ne sais pas faire, c'est de chercher. C'est peut-être aussi mon origine ouvrière, mon respect de la chose difficile à faire, mon besoin de ne jamais chausser les mêmes sabots, de toujours chercher à connaître, qui me détermine. Cette démarche est difficile, eh bien ! tentons-la. Allons vers quelque chose d'autre, même si ce n'est pas admis. On vous fait grise mine quand vous mettez un personnage, un arbre ou un rocher... Eh bien ! tant pis si c'est là qu'est la vérité. La quête de la réalité est difficile. Mais elle est toujours pleine si on se donne la peine de la voir. C'est en partant une fois de plus à sa recherche que la peinture se remet à vivre. Le réalisme peut faire des choses magnifiques avec ça. Mais à une condition : recommencer à voir la réalité, voir comme personne ne l'a jamais vue, c'est à dire avec les yeux de notre temps. Tous les échecs qu'on a pu enregistrer dans ce domaine ne venaient pas d'une réalité soi-disant épuisée, finie. Tous les échecs venaient de ce qu'on voulait enfermer cette réalité dans une forme qui ne lui convenait pas. Un politique est obligé d'étudier la réalité s'il veut l'appréhender afin de déterminer une certaine tactique. Sinon il devient dogmatique, et toutes les mesures qu'il peut prendre sont en porte à faux. Le peintre, c'est la même chose. Il doit partir à la conquête de la réalité, une conquête journalière, de chaque instant, à ses risques et périls. Il faut être dedans, regarder dedans, penser dedans. Il ne faut pas craindre de se bousculer soi-même, de faire autre chose, de tout recommencer, de tout apprendre. Il faut être toujours sur la brèche. Il ne faut pas craindre de déplaire...
Edouard Pignon - Éditions Denoël