Les avatars de la mimèsis

Extrait :

Les impressionnistes, qui furent les premiers à aller mettre leur chevalet dans la nature, sont aussi pourtant parmi les premiers à la déformer. Ce paradoxe illustre combien le rapport qu'entretient l'art avec son modèle est complexe, combien le concept de mimèsis qui règle traditionnellement ce rapport est équivoque. Traduit en général par « imitation », sa signification est cependant plus vaste et ce dès les premières occurrences du terme. Si Platon s'inquiète de la fidélité de la production artistique à l'objet qu'il représente et définit volontiers l'acte mimétique comme une reproduction des apparences des objets, Aristote prête moins d'attention à la conformité de la représentation pour s'intéresser aux qualités esthétiques propres de cette dernière. Renaissance et art classique héritent de ces deux conceptions qu'elles réévaluent et complètent à l'aune des exigences de leur siècle... Si la nature n'est pas l'unique point de départ de l'œuvre, elle reste une source d'inspiration possible, un abécédaire dans lequel l'artiste puise de quoi constituer un vocabulaire puis un langage propre. Pourtant rien n'est moins aisé que de déterminer l'essence de cette relation, qui invite à s'interroger sur des problèmes aussi divers que le statut de la représentation et de la reproduction, la place de l'artiste, mais aussi la ressemblance et la dénaturation, l'artifice et l'illusion, la vérité et la fausseté. Dans un premier temps, il semble que l'art se réfère à la nature comme à un modèle ultime et que le phénomène de collusion entre art et monde se présente sur le mode mimétique, c'est-à-dire selon la loi de la ressemblance. Pourtant, ce mode de relation a-t-il jamais suffi à définir l'art, et ce dernier n'aurait-il pas plutôt comme vocation de « travestir la nature », de la dénaturer, en se posant par là même comme un domaine radicalement séparé et indépendant du réel ? Devant la nature, l'art semble hésiter entre ces voyages aux pérégrinations complexes : mimèsis ou dénaturation ? Mimer ou grimer ? Ainsi la mimèsis soulève-t-elle la question de la véracité : qu'est-ce que le vrai en art ? Le théoricien Roger de Piles évoque trois sortes de vrai en peinture : un vrai simple, « imitation simple et fidèle des mouvements expressifs de la nature et des objets » ; un vrai idéal, « choix de diverses perfections qui ne se trouvent jamais dans un seul modèle, mais qui se tirent de plusieurs et ordinairement de l'antique » ; enfin un vrai parfait, composé des deux précédents, et qui, au dire de l'auteur, n'a pas encore été complètement réalisé, et serait le plus apte à rendre la nature de façon « vraisemblable ». Pour faire « vrai », les artistes, de la Renaissance au XIXe siècle, ont souvent opté pour une expression idéaliste ou réaliste de leurs modèles. Mais était-ce bien là s'engager sur les seules voies de la mimèsis ?

Caroline Combronde / Brigitte van Wymeersch - Éditions de Boeck