Mon Secret suivi de Lettre à ma mère



Extrait :

J'ai écrit ce livre d'abord pour moi-même, pour tenter de me délivrer enfin de ce drame qui a joué un rôle si déterminant dans ma vie. Je suis une rescapée de la mort, j'avais besoin de laisser la petite fille en moi parler enfin. Mon texte est le cri désespéré de la petite fille Niki de Saint-Phalle... J'ai longtemps pensé que j'étais une exception, ce qui m'isolait encore plus ; aujourd'hui j'ai pu parler à d'autres victimes d'un viol : les effets calamiteux sont tous les mêmes : désespoir, honte, humiliation, angoisse, suicide, maladie, folie... Le scandale a enfin éclaté ; tous les jours des révélations jaillissent sur ce secret si jalousement gardé pendant des siècles : le viol d'une multitude d'enfants, filles ou garçons, par un père, un grand-père, un voisin, un professeur, un prêtre...

Extrait :

Ma mère, quand je suis née le 29 octobre 1930 à Paris, le cordon ombilical était enroulé deux fois autour de mon cou... Dès le début, le danger fut présent. J'apprendrais à l'aimer, à aimer le risque, l'action. Toute ma vie je serais torturée par l'asthme et les problèmes respiratoires. Pendant que vous m'attendiez, vous avez découvert la première infidélité de mon père. Je n'apportais que des ennuis. Votre mauvaise opinion de moi, ma mère, me fut extrêmement douloureuse et utile. J'appris à ne compter que sur moi. L'opinion des autres ne m'importait pas. Cela me donna une immense liberté. La liberté d'être moi-même. Je rejetterais votre système de valeurs et inventerais le mien. Très tôt je décidai de devenir une héroïne. Qui serais-je ? George Sand ? Jeanne d'Arc ? Napoléon en jupons ? Quoi que je fasse dans l'avenir, je voulais que ce soit difficile, excitant, grandiose. Je ne vous ressemblerais pas, ma mère. Vous aviez accepté ce qui vous avait été transmis par vos parents : la religion, les rôles masculin et féminin, vos idées sur la société et la sécurité. Je passerais ma vie à questionner. Je tomberais amoureuse du point d'interrogation. Pour vous j'ai conquis le monde. Vous étiez celle qu'il me fallait. Je suis une combattante. Qu'aurais-je fait d'une mère me noyant d'amour ? Quand j'avais vingt-cinq ans, vous me rendiez parfois visite dans mon atelier. De vos mains vous cachiez vos yeux pour ne surtout pas voir mes horribles peintures. Dieu que c'était stimulant ! Pour vous, tout devait rester caché. Moi je montrerais. Je montrerais tout. Mon coeur, mes émotions. Vert - rouge - jaune - bleu - violet. Haine - amour - rire - peur - tendresse. J'aimerais que vous soyez encore là, ma mère. J'aimerais vous prendre par la main et vous montrer le Jardin des Tarots. Vous pourriez bien ne plus avoir une si mauvaise opinion de moi aujourd'hui. Qui sait ? Ma mère, merci. Quelle vie ennuyeuse j'aurais eue sans vous. Vous me manquez.

Niki de Saint-Phalle - Éditions de la Différence