Histoires de peintures



Extrait :

Je n’ai pas vraiment un tableau préféré. Plusieurs me viennent à l’esprit, en général classiques. La Madone Sixtine de Raphaël, par exemple, mais je pourrais dire aussi La Joconde, curieusement, ou aller du côté du XVIIIè siècle : je trouve que Le Verrou de Fragonard est un tableau tout à fait extraordinaire et fascinant. En descendant encore dans le temps, il y a L’Origine du monde, de Courbet : quel beau tableau ! Et puis, parmi les rares tableaux qui m’aient vraiment touché, il y a une esquisse de La Danse, de Matisse. Donc, je n’ai pas vraiment un tableau préféré. D’abord, ce ne serait pas forcément un tableau, ce pourrait être une fresque, un polyptyque, un retable entier dans une église... Disons qu’il y a des peintures qui touchent, qui me touchent ou m’ont touché plus que d’autres, et je sais qu’il y en a qui ne m’ont pas encore touché, mais qui un jour ou l’autre vont me toucher... Il n’y a rien de plus émouvant pour moi que de me trouver dans un lieu entièrement couvert de peintures, et là je pense par exemple à la Chambre des époux, peinte entre 1469 et 1474 par Mantegna, à la cour du prince de Mantoue. Quand on entre dans cette pièce et qu’on a la chance, comme je l’ai eue, d’y passer des heures, on a au bout d’un moment la sensation d’être enveloppé par la peinture et pénétré par elle, et l’on éprouve des sensations extraordinaires. Un autre exemple qui continue de me bouleverser, c’est la chapelle de Piero della Francesca à Arezzo, où j’ai passé des journées à regarder et à prendre des notes, revenant le lendemain pour tenter de voir ce que je n’avais pas vu la veille, et c’est vrai que, comme le disent les Goncourt à propos d’un tableau de Chardin, à un certain moment, « la peinture se lève », et suscite alors une véritable émotion. De quel type est cette émotion, c’est difficile à dire... Mais, depuis que La Madone Sixtine s’est levée, par exemple, je n’ai plus besoin de la voir, et je garde en moi cette émotion...

Daniel Arasse - Éditions Gallimard