Frida Kahlo



Au photographe Nickolas Muray, sur les artistes parisiens :
Je t'écris depuis mon lit de l'Hôpital américain. Maintenant je vais mieux et lundi prochain je serai sortie de cet hôpital pourri. En plus de cette maudite maladie, je n'ai vraiment pas eu de chance depuis que je suis ici. Quand je suis arrivée, les tableaux étaient encore à la douane, parce que ce fils de pute de Breton n'avait pas pris la peine de les en sortir. J'ai dû attendre des jours et des jours comme une idiote, jusqu'à ce que je fasse la connaissance de Marcel Duchamp, le seul qui ait les pieds sur terre parmi ce tas de fils de pute lunatiques et tarés que sont les surréalistes. Tu n'as pas idée du genre de salauds que sont ces gens. Ils me donnent envie de vomir. Je ne peux plus supporter ces maudits intellectuels de mes deux. C'est vraiment au-dessus de mes forces. Je préférerais m'asseoir par terre pour vendre des tortillas au marché de Toluca plutôt que de devoir m'associer à ces putains d'artistes parisiens. Ils passent des heures à réchauffer leurs précieuses fesses aux tables des cafés, parlent sans discontinuer de la culture, de l'art, de la révolution et ainsi de suite, en se prenant pour les dieux du monde, en rêvant de choses plus absurdes les unes que les autres et en infectant l'atmosphère avec des théories et encore des théories qui ne deviennent jamais réalité...
Au président du Mexique, Miguel Aleman Valdès :
Cette lettre est le fruit de ma très juste indignation, et je veux qu’elle arrive entre vos mains afin que vous sachiez que je m’insurge contre un attentat lâche et infamant perpétré dans ce pays en ce moment même. Je veux parler de ce acte intolérable que les gérants de l’Hôtel del Prado sont en train de mener à bien en recouvrant avec des planches de bois la peinture murale de Diego Rivera dans la salle à manger dudit hôtel, peinture qui déclencha voilà quelques mois les attaques les plus honteuses et injustes dont ait jamais été victime un artiste mexicain. Je tiens à vous signaler que votre gouvernement est en train d’assumer une énorme responsabilité historique en permettant que l’œuvre d’un peintre mexicain soit recouverte, cachée aux yeux du peuple de ce pays et à ceux du public international pour des raisons sectaires, démagogiques et mercenaires. Vous qui représentez à l’heure actuelle la volonté du peuple du Mexique, dont les libertés démocratiques ont été gagnées grâce au sang versé par ce peuple lui-même, vous ne pouvez pas permettre que quelques actionnaires, de connivence avec quelques Mexicains de mauvaise foi, recouvrent les mots de l’Histoire du Mexique et l’œuvre d’un citoyen mexicain que le monde civilisé reconnaît comme l’un des plus hauts représentants de la culture de ce pays. Je sais que les lois, malheureusement, ne garantissent pas suffisamment la propriété artistique, mais vous, en tant qu’avocat, vous savez bien que les lois sont et ont toujours été élastiques. Il est une chose qui ne figure dans aucun code, je veux parler de la conscience culturelle des peuples, qui ne permet pas que l’on construise des appartements dans la chapelle Sixtine de Michel-Ange. Allez-vous permettre que l’on détruise la liberté d’expression au nom de l’obscurantisme ?

Frida Kahlo par Frida Kahlo est publié en Points par les Éditions du Seuil.