Arbres, carnet de dessins

Extrait :

Si le paysage ne commence à être pris comme objet de représentation qu'au XVIIe siècle, il ne devient sujet qu'en même temps qu'il entre dans le champ des études scientifiques. D'une façon générale, la peinture de paysage n'a pas un statut majeur avant le XIXe, et les arbres demeurent le plus souvent traités en masses, pour mettre en valeur une scène complète. Quant à l'identification des arbres choisis par le peintre, elle ne se fait que très progressivement. À quelques exceptions près, ce n'est qu'à la fin du XVIe siècle que les peintres commencent à se soucier de rendre compte précisément des essences d'arbres qu'ils représentent. Au XVIIe siècle, certains arbres, comme le chêne, se voient cependant attribuer une place de premier plan dans l'espace théâtral du peintre. Cette valorisation est certainement une réminiscence du culte du chêne très répandu dans toute l'Europe à l'époque préchrétienne et peut-être retrouvera-t-on aujourd'hui chez des artistes du Land art quelque chose de ce chêne consacré à Zeus où habitait un oracle dont les femmes étaient prophétesses et interprétaient le mouvement des feuilles. Avec sa taille en têtard, le saule renvoie plutôt à des pratiques paysannes et des scènes pastorales. Le bouleau est fréquent chez les Flamands, Ruysdaël en particulier. L'importation en France et en Angleterre, vers 1745, du peuplier d'Italie témoigne de l'importance grandissante des peintres à la fin du XVIIIe siècle dans la création de parcs et de jardins et plus largement dans la constitution de nouveaux paysages comme les bords de rivières et de canaux. Cette introduction est en effet attribuée à des peintres faisant le Grand Tour. Ils auraient rapporté cet arbre au port fastigié (en colonne), dont la forme générale évoque si bien le cyprès qu'on a du mal à les distinguer sur certains tableaux, afin de l'introduire dans la composition des nouveaux parcs. Car on sait que le jardin paysager de la fin du XVIIIe siècle est un jardin dessiné et peint sur la toile avant d'être reproduit in situ. Cet exemple remarquable constitue un tournant dans l'histoire du paysage et du peintre paysagiste qui, après avoir construit ses toiles à partir de fragments de nature prélevés in situ, va reconstruire le terrain à partir de sa toile. Du siècle des lumières à la fin du XIXe siècle, la pleine nature prend le pas sur l'atelier. Avec John Constable, le tronc devient le paysage unique, la robe de bois d'un arbre puissant et maternel, aux deux grandes branches enveloppantes comme des bras possessifs. L'arbre n'a pas seulement une âme. Il devient un personnage. Chez Corot, cet arbre qui est « quelqu'un » s’enracine dans un paysage, il est l’un des lieux de prédilection d’un paysage dans lequel il cohabite souvent avec un personnage qui semble chanter en duo avec lui. L’amour de l’arbre devient même physique, comme l’écrit Thoreau : « Oui, j’ai senti un véritable désir pour un arbuste. Je suis amoureux d’un jeune chêne »...

Michel Racine - Bibliothèque de l'image