Extrait :
D'où vient la beauté de tant de femmes comparables à Vénus ? D'ou vient la beauté de Vénus elle-même ? Ne vient-elle point partout de la forme qui du principe créateur passe dans la créature, comme dans l'art la beauté passe de l'artiste dans l'œuvre ? Faut-il admettre que les créatures et la raison unie à la matière sont belles, tandis que la raison qui ne se trouve pas unie à la matière, qui réside dans le créateur, qui est première et immatérielle, ne serait pas la beauté, et aurait besoin, pour le devenir, de se trouver unie à la matière ? Mais si la masse, en tant que masse, était belle, il s'en suivrait que la raison créatrice ne serait pas belle parce qu'elle ne serait pas masse. Si la forme, qu'elle se trouve dans un objet grand ou dans un objet petit, touche et émeut également l'âme de celui qui la considère, évidemment la beauté ne dépend pas de la grandeur de la masse. En voici encore une preuve : tant que la forme de l'objet reste extérieure à l'âme et que nous ne la percevons pas, elle nous laisse insensibles ; mais dès qu'elle pénètre dans l'âme, elle nous émeut. Or il n'y a que la forme qui puisse pénétrer dans l'âme par les yeux : car de grands objets ne sauraient entrer par un espace aussi étroit. À cet effet, la grandeur de l'objet se contracte, parce que ce qui est grand, ce n'est pas la masse, c'est la forme. Ensuite, il faut que la cause de la beauté soit ou laide, ou belle, ou indifférente. Laide, elle ne saurait produire son contraire ; indifférente, elle n'aurait pas plus de raison pour produire le beau que le laid. Donc la nature qui produit tant de beaux objets doit posséder elle-même une beauté fort supérieure. Mais, comme nous n'avons pas l'habitude de voir l'intérieur des choses, que nous le connaissons pas, nous nous attachons à leur extérieur, ignorant que c'est au dedans d'elles que se cache ce qui nous émeut ; semblables à un homme qui, voyant son image et ne sachant d'où elle vient, voudrait la saisir. Ce n'est pas la masse d'un objet qui a de l'attrait pour nous, ce n'est pas en elle que réside la beauté. C'est ce que démontre la beauté que nous trouvons dans les sciences, dans les vertus et en général dans les âmes, où elle brille d'un éclat plus vrai quand on y contemple et qu'on y admire la sagesse : nous ne considérons pas alors le visage, qui peut être laid ; nous laissons de côté la forme du corps, pour ne nous attacher qu'à la beauté intérieure. Si, dans l'émotion que doit te causer ce spectacle, tu ne proclames pas qu'il est beau, et si, plongeant ton regard en toi-même, tu n'éprouves pas alors le charme qu'a la beauté, c'est en vain que, dans une pareille disposition, tu chercherais la beauté intelligible : car tu ne la chercherais qu'avec ce qui est impur et laid. Voilà pourquoi les discours que nous tenons ici ne s'adressent pas à tous les hommes. Mais, si tu as reconnu en toi la beauté, élève-toi à la réminiscence de la beauté intelligible...
Plotin - Les Belles Lettres