Elle, par bonheur, et toujours nue
Extrait :
Pourvu que Pierre la regarde encore et encore et la fasse fleurir nuit après nuit, Marthe consent à être nue devant lui et prise, surprise, dessinée
nue sur le lit juste après l’amour, voluptueuse encore, indolente, une main caressant le sein où le plaisir longuement s’étire,
nue à demi enfilant ses bas et tournant la rouge jarretière, la jambe prête aux pires écarts,
nue aux bas noirs sous la lampe et plus que nue, la tête prise dans l’écume des chemises, et livrée aux rougeurs,
nue à la baignade, nymphe penchée sur le miroir d’eau,
nue au tub se lavant, accroupie, à genoux, cassée,
nue dans son bain, longue sous l’eau verte, rêveuse,
nue debout à sa toilette, en escarpins à talons hauts, ou courbée, s’essuyant une jambe, se coupant les ongles des pieds, nue et cambrée, brûlant tout l’or du jour dans ses courbes,
sanguine alanguie nue et roulant sur ses reins comme des cigarettes les sulfureuses rêveries du poète de Parallèlement,
Chloé nue pour son Daphnis dans les pages de Longus,
nue rose ou bleue ou verte ou jaune, et la lumière n’en revient pas,
nue au miroir, au lavabo, à contre-jour,
nue au gant de crin, au couvre-pied, à la toque, au basset,
nue au crayon, au fusain, à la gouache, nue à l’eau et à l’huile,
nue en bronze,
nue à toute heure et, jusqu’au dernier jour,
nue, toujours jeune et gracile comme si le temps s’était arrêté pour elle, pour lui, le jour où, dans sa chambre pauvre, il la vit pour la première fois sortir du paravent,
nue par bonheur, par Bonnard nue.
Marthe nue cent quarante-six fois peinte, Marthe sept cent dix-sept fois croquée nue dans les carnets, dessinée dans l’air, perdue dans les arbres, caressée dans l’eau,
Marthe trente-deux ans nue, la tête baissée ou les yeux clos, gardant son secret,
dérobant Maria...
Guy Goffette - Éditions Gallimard