Extrait :
L'art contemporain semble être originairement lié au canular. Il n'y a qu'à penser à Duchamp, bien sûr. Contempler une oeuvre d'art dite contemporaine, se rendre dans quelque galerie, hall ou musée pour s'intéresser à quelque installation contemporaine que ce soit, c'est immanquablement faire l'expérience, à un degré plus ou moins intense mais toujours irrésistible, du canular. Cette prégnance du canular dans l'art contemporain ne signifie pas cependant que l'art contemporain se résume à une vaste entreprise canularesque ou, comme le pensent avec le plus grand sérieux ses détracteurs, à une vaste plaisanterie. Ce serait trop simple et la chose serait entendue depuis longtemps ; il n'y aurait pas tant de débats, de passions, de polémiques utiles ou stériles autour de la question de l'art contemporain si cette dernière ne relevait que du piège canularesque et par conséquent du vide ; sauf si, ne doutant de rien, l'on se mette aussi à mépriser les penseurs de l'art contemporain, après en avoir fait de même avec les artistes et le public de cet art, ce qui fait au bout du compte pas mal de monde sur lequel jeter l'anathème... Il n'y a pas, dans la clientèle de l'art contemporain, que des suivistes aveugles et abusés, consommateurs passifs qui goberaient tout justement et donc n'importe quoi, comme il n'y a pas du côté de ceux qui refusent tout en bloc en matière d'art contemporain que des experts lucides et toujours pleins de bon sens... Il y a loin déjà du canular moderne au canular contemporain. Le canular lié à l'art moderne avait une fonction critique essentielle ou prétendue essentielle... Le canular lié à l'art contemporain n'a plus cette charge critique et corrosive à l'usage des utopies ou des conservatismes. L'art contemporain a neutralisé le canular en s'unifiant définitivement à lui, en le plaçant au coeur même de sa démarche créative.
Avec l'art contemporain, le canular est devenu neutre...
Yves Chalas - L'Harmattan