Écrits sur l'art

Extrait :

Sur Giorgio de Chirico : J’imagine un architecte en quête d’un point de perfection tel qu’on puisse souhaiter voir le mouvement s’y stabiliser à jamais ; la tête entre les mains, il est le portrait même du chercheur ; je prévois qu’il va se jeter par la fenêtre ; pour qu’il n’en fasse rien, je colle sur les vitres une toile ; il rouvre les yeux, s’écrie au miracle, va s’élancer dans une rue mystérieuse qui s’ouvre de plain-pied. Je l’arrête, le force à regarder ; au bas du tableau il lit Giorgio de Chirico... Sur Eugène Mac Cown : Ce jeune Américain scelle les chevaux du songe ; Pâlissez belles joues ; Voyageurs, en voiture ; Fouette, cocher ; Eugène Mac Cown, fermez les yeux et partez pour ce désert où il y a une ville à bâtir... Sur Man Ray : Attention ; un petit oiseau va sortir. Un petit oiseau est sorti, un petit oiseau apporte au nid des jolies filles, des fougères. Il ne dédaigne ni les tire-bouchons, ni les jambes de la Tour Eiffel, ni les morceaux de sucre. Il les offre à quelque prestidigitateur amusé de nous voir stupéfiés d’un monde recréé... Sur Sonia Delaunay : Je veux la remercier d’avoir supprimé le préjugé hiérarchique, d’aimer suffisamment la vie, la vie magnifique, pour nous offrir des chefs-d’œuvre qui embelliront nos gestes quotidiens. Elle n’a pas commis l’erreur de quêter l’approbation de quelques esthètes ; elle n’a point pensé à Montparnasse, aux petits cénacles, elle va vers la foule, la foule insensible... Sur Max Ernst : Max Ernst nous apprend qu’au-dessus des nuages marche la minuit. Au-dessus de la minuit plane l’oiseau invisible du jour. Un peu plus haut que l’oiseau, l’éther pousse, les murs et les toits flottent. Fontaines gemmifiantes, astrifiantes, quel secret a-t-il découvert dans vos eaux ? Sur Paul Klee : Comment ne point appeler miracle, Paul Klee, cette excursion au plus secret des mers dont vous êtes revenu avec, dans le creux des paumes, un trésor de micas, de comètes, de cristaux, une moisson d'hallucinants varechs et le reflet des villes englouties. Les crabes, oui, les crabes eux-mêmes ont des ailes... Sur Renée Sintenis : Que l’agonie des arbres attriste les cités grelottantes qui ont froid aux yeux et jusque sous les bras, Berlin n’est pas de ces midinettes épilées. Douce fourrure végétale, son Tiergarten moutonne, frémit. Au soleil d’avril fond la glace dernière pudeur de l’hiver. Une longue jeune femme s’est baissée pour mieux entendre battre le grand cœur souterrain. Promeneuse des aubes claires, Madame Renée Sintenis, à franches, à pleines mains, va ravir au sol de quoi modeler un nouvel Adam... Sur Goya : S’il y a chez Daumier, surtout dans ses sculptures, des déformations dont l’expressionnisme se garda bien de faire fi, il y a aussi les fameux noirs de Goya, que Manet certes n’ignora point. Récemment, à la prison de Madrid où je le visitais, un camarade qui ne dédaignait pas de parler peinture, derrière ses barreaux, se réjouissait de constater : « Si Goya vivait, il serait avec nous. » 

René Crevel - Éditions Ombres