Jenny toute nue



Extrait :

Le niveau de l'eau avait remonté, après deux jours de pluie, et le petit ruisseau était plein jusqu'aux bords. Pour la première fois depuis une semaine, après un brouillard matinal, le ciel était bleu et le soleil chaud. Leslie ôta sa chemise et son pantalon. Il ne portait jamais de maillot ni de caleçon, que mes parents m'imposaient. La mère de Leslie était morte et son père ne se souciait guère qu'il portât ou non des sous-vêtements. Leslie sauta dans l'eau trouble. « Si le vieux Howes vient, dit-il, et s'il veut nous faire sortir, nous lancerons de la vase sur lui, Jack, tu veux ? » « Oui, mais il ira le dire à ton père. » « Je n'ai pas peur du vieux Howes », dit Leslie, faisant une grimace, puis il s'interrompit pour écouter : quelqu'un avait marché sur une branche morte, derrière les buissons, et les craquements avaient dominé le bruit de la rivière. « Qui est-ce ? » murmura Leslie. Soudain, entre les buissons, Jenny apparut. Elle était la fille du vieux Howes ; elle avait à peu près notre âge, un ou deux ans de plus peut-être. « Qu'est-ce que tu viens faire ici ? » dit-il rudement à Jenny pour l'effrayer. « Je viens ici quand ça me plaît. » « Tu ne peux pas venir quand nous prenons un bain ; tu n'es pas un garçon. » « Je viens quand je veux, monsieur, dit Jenny ; la rivière n'est pas à toi. » « Ni à toi », dit Leslie, qui lui fit une grimace. « Bon, dit Jenny, puisque c'est comme ça, Leslie Blake, je vais prendre tes habits et les cacher. » Elle prit le pantalon de Leslie et ma chemise. Leslie me tira par le bras, vers la rive. Nous n'allions pas vite car nos pieds s'enfonçaient dans la vase. « Nous allons la faire boire, murmura Leslie ; la faire boire un bon coup. Viens. » J'avais peur de jeter Jenny à l'eau. Une fois nous avions fait boire un petit nègre qui s'appelait Bisco, et nous l'avions presque noyé. Il était devenu tout mou dans nos mains et nous l'avions étendu sur le bord et roulé comme un tonneau ; l'eau jaune de la rivière coulait de sa bouche. « Oh ! je sais ce que nous allons lui faire », dis-je. « Quoi ? » « La frotter de vase. » « Entendu, dit Leslie, quand on frotte quelqu'un avec de la vase ou qu'on le fait boire, ça le guérit de rapporter. » Leslie la jeta par terre à plat ventre et lui tint les bras derrière le dos et le visage dans l'herbe. Elle ne pouvait pas crier. « Déshabille-la, Jack, dit-il ; je la tiens. » J'ôtai la robe de Jenny et la jetai sur un buisson. « Toute nue ? » « Bien sûr. Nous ne pouvons pas la frotter avec de la vase si elle n'est pas toute nue. » Nous luttâmes avec Jenny et, lorsque nous lui eûmes ôté sa chemise, Leslie jeta la vase sur elle. Il l'étendit sur ses bras, ses épaules, ses jambes, en prenant garde de ne point en mettre dans ses cheveux, car après on ne peut plus s'en débarrasser. Une poignée sur les cuisses, le ventre, une autre sur les épaules et les seins. Jenny ne bougeait pas ; elle frissonnait lorsque Leslie frottait les parties les plus délicates de son corps avec le mélange de limon et de feuilles décomposées. Le reste du temps, on aurait dit qu'elle dormait...

Erskine Caldwell - Éditions Gallimard