Extrait :
Ce premier tiers du XVIe siècle français est un moment de prospérité et de dynamisme éditorial où des aventures individuelles de ce type sont encore possibles. De nombreuses personnalités sont alors actives à Paris : Guillaume Budé, qui se prépare à devenir le plus grand helléniste de son temps ; Erasme, qui y rédige ses premières œuvres ; Charles de Bovelles, qui mène au collège du Cardinal-Lemoine des recherches variées en philosophie et en sciences... Tous enseignent, commentent, traduisent, composent... et désirent voir leurs travaux diffusés par l'imprimerie. Un petit nombre d'imprimeurs-libraires se partage ce marché humaniste : les trois frères de Marnef, Gilles de Gourmont, Henri Estienne, fondateur d'une célèbre dynastie, et le plus important d'entre eux, Josse Bade, qui fait de son atelier le rendez-vous de l'Europe savante. Si le parcours de Tory s'inscrit dans cette révolution culturelle, il est cependant très différent de ceux de ses confrères. Tory ne suit pas leur trajectoire rectiligne et connaît deux carrières différentes séparées par un énigmatique silence de dix ans... Plus qu'un homme universel, Tory serait surtout un humaniste à la recherche de nouvelles formes graphiques pour le livre imprimé. En transportant la culture humaniste dans les livres d'heures, il est l'un des premiers à introduire dans l'imprimé l'esthétique venue d'Italie et déjà diffusée dans certains arts décoratifs depuis le début du siècle. Avant l'arrivée en France des artistes de l'école de Fontainebleau, il apparaît comme un important passeur de la Renaissance italienne dans l'univers du livre français et nourrit les revendications du trône de France à incarner directement l'héritage antique. Mais ce n'est pas tout. Cette ambition graphique est également un catalyseur de l'extraordinaire illustration linguistique qui touche la France à partir de 1530. C'est en effet pour justifier l'usage en français des caractères romains que Tory esquisse pour cette langue de nouvelles disciplines qui se développeront au cours du siècle, comme la grammaire, l'histoire littéraire et la lexicologie diachronique. Son approche à la fois graphique et philologique lui donne les moyens de penser très tôt la possibilité d'une codification de la langue française, dans laquelle il introduit notamment le c cédille. Davantage concepteur qu’exécutant, il semble utiliser les possibilités de l’imprimerie pour jeter les bases du métier de graphiste. Tory graphiste avant la lettre ? Avec la mise en page, la lettre est en effet son sujet de prédilection...
Geoffroy Tory - RMN-Grand Palais