Champ culturel et formation artistique

Extrait :

Les artistes en brisant avec la tradition romantique du génie souverainement indifférent à la réception de ses œuvres, convaincu de l'incompréhension fatale du public, se sont mis à s'intéresser à la formation de la sensibilité ; au-delà de la seule présence d'œuvres de qualité, ils entrevoient mieux une démarche pédagogique qui, dans le cadre de l'école ou d'une action culturelle extra-scolaire, n'apparaît pas obligatoirement contraire à leur aventure artistique. Les étudiants d'histoire de l'art, au-delà du manque de débouchés, se sont aussi aperçus que l'action de légitimation culturelle de l'université s'exerçait toujours avec un recul historique qui laissait échapper l'art en train de se faire et se référait encore dans son ensemble aux valeurs de l'humanisme de la Renaissance. Les professeurs de dessin et les étudiants des écoles d'art ont pris une conscience croissante de l'inadaptation scandaleuse de leur formation et de leur enseignement par rapport aux besoins sociaux et aux exigences de l'essor artistique du XXe siècle. De ces convergences dans un domaine où les possibilités de transformation de la situation sont relativement importantes, il est résulté un grand nombre de travaux et de propositions que Mai et Juin 68 n'ont fait qu'amplifier et radicaliser. À l'origine, la prise de conscience des professeurs de dessin fut d'ordre revendicatif ; à une dégradation constante de leur profession et de leurs conditions de travail s'ajoutèrent de nouvelles menaces à partir de 1962 : pénurie chronique de moyens, réduction d'horaires, suppression de certains postes, en particulier à Paris, insuffisance croissante en personnel et en équipement. Dès 1966, s'était créé un Comité national pour l'éducation artistique (CNEA), qui publia régulièrement un bulletin et organisa des manifestations pour alerter le corps enseignant et l'opinion publique. L'année 1967 vit la décision ministérielle de création d'une option Arts au Baccalauréat Lettres ; malheureusement elle ne fut pas suivie des mesures correspondantes dans les établissements du secondaire. Mais si l’école dans son ensemble demeure l'outil indispensable pour résoudre à long terme le double problème de la formation des producteurs et des publics, il existe dès maintenant des possibilités à court terme pour réduire l'écart entre l'art contemporain et les masses et pour établir de nouveaux rapports entre eux ; c'est une des tâches essentielles de l'animation culturelle qui consiste à entreprendre une formation, une sensibilisation aux arts plastiques auprès de publics adolescents et adultes hors de la situation scolaire. Ceci suppose une politique d'ensemble concertée pour former des animateurs culturels spécialisés dont le besoin se fera de plus en plus fortement sentir. Le sociologue Joffre Dumazedier évalue à 50.000 le nombre d'animateurs à prévoir pour la société française de 1980. Or cette formation, qui a pu être définie comme une « priorité des priorités », a jusqu'à présent été totalement négligée, ce qui n'est pas sans effet sur les difficultés actuelles de l'action culturelle...

Pierre Gaudibert - Éditions Casterman