Du tableau au texte
Extrait :
La scène se déroule à la tombée de la nuit, entre chien et loup. Le ciel, qui occupe la partie haute du tableau, est d'un bleu sombre et l'on aperçoit le soleil couchant rose orangé. Cette lumière crépusculaire est tout à fait propice à une réunion secrète, comme celle à laquelle semblent se livrer les trois silhouettes qui se tiennent à droite. Le titre de cette huile sur toile, « Conspiration », laisse à penser que tous trois sont les acteurs d'un complot qui se prépare... Si la forme générale de ces personnages est humaine, ils apparaissent comme des figures hybrides. Le corps de celui le plus à gauche est composé de pièces détachées, agencées entre elles et annotées par des lettres majuscules. Ce morcellement rappelle les écorchés présentés dans les études d'anatomie humaine où le corps ne se donne pas à voir dans son unité extérieure maintenue par la peau, mais comme un ensemble divisé en organes. Il apparente aussi la figure à une créature fabriquée artificiellement. Il en est de même pour le personnage central, composé de parties vissées entre elles. Le haut de la tête, siège de la pensée et de la conscience, est muni d'une manivelle, ce qui contribue très largement à l'impression d'être en présence de mécaniques. La figure de droite est habillée d'un costume noir élégant et d'une cravate, signes d'un certain niveau social, contrastant avec le dépouillement de ses complices. Un membre de la classe dirigeante, cadre ou homme politique, paraît donc mêlé à cette conspiration... Son visage, ou plutôt son absence de visage, lui confère, à lui aussi, une apparence désincarnée : des formes géométriques remplissent cet espace traditionnellement réservé à l'expression la plus intimement humaine... Des sortes de tubes sortent de ces visages faits de formes géométriques, s'entrecroisent et établissent des connexions entre les conspirateurs. Ces excroissances matérialisent les voix qui construisent ensemble le projet du complot. Mais ce circuit vocal semble vouer la conspiration à l'échec. Si les tubes renforcent la fermeture du cercle des conspirateurs, ils conduisent aussi à un dépassement des limites spatiales... Derrière l'unité apparente se construisent des alliances sous-jacentes qui pourraient mettre en péril la réussite de la conspiration. La déshumanisation et la mécanisation des figures participent, elles aussi, à cette impression. Elles montrent, d'une part, l'aliénation des individus dans l'acte du complot et, d'autre part, leur volonté de cacher leurs intentions et sentiments personnels qui pourraient aller à l'encontre de l'action collective. En cela, le trio peint par Brauner peut être rapproché de celui que forment Cinna, Émilie et Maxime, les trois organisateurs principaux du complot fomenté contre l'empereur Auguste...
Juliette Bertron - Éditions Gallimard