Le discours de Stockholm


©Yousuf Karsh

Le 10 décembre 1957, Albert Camus reçoit en Suède le prix Nobel de littérature et prononce un discours sur les missions de l'intellectuel.
Extrait :

Je ne puis vivre personnellement sans mon art.
Mais je n'ai jamais placé cet art au-dessus de tout.
S'il m'est nécessaire au contraire, c'est qu'il ne me sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous.
L'art n'est pas, à mes yeux, une réjouissance solitaire.
Il est un moyen d'émouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes.
Il oblige donc l'artiste à ne pas s'isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle.
Et celui qui, souvent, a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent apprend bien vite qu'il ne nourrira son art, et sa différence, qu'en avouant sa ressemblance avec tous.
L'artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres,
à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher.
C'est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s'obligent à comprendre au lieu de juger.
Et, s'ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d'une société où, selon le mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge, mais le créateur, qu'il soit travailleur ou intellectuel.


Albert Camus - Discours de Suède - Folio-Gallimard